Études scientifiques et mnémoniques

 

Études scientifiques, palais de mémoire et mnémoniques

Pour ceux et celles que cela intéresse, je recense ici la plupart des études scientifiques que j’ai pu trouver sur les palais de mémoire et les mnémoniques. Des tonnes d’études scientifiques ont été menées sur la mémoire de travail, sur la mémoire à long terme, sur l’importance du contexte d’apprentissage, sur les intervalles de révisions optimales et ainsi de suite. Il y en a par contre beaucoup moins qui portent sur l’utilité des mnémoniques et encore moins sur les palais de mémoire. Parmi les études qui existent, certaines me semblent bien mal conçues, ne testant par exemple qu’une liste de 10 mots ou n’offrant aux novices que des instructions élémentaires. Malgré ces limitations, la grande majorité des études que j’ai pu trouver semblent démontrer des effets positifs allant du significatif au carrément spectaculaire. Mais si les bénéfices immédiats sont considérables, à mon avis ce sont les bénéfices à long terme qui font une énorme différence. De la même façon qu’une seule heure d’exercice physique ne va pas en tant que tel changer la vie de qui que ce soit, mon opinion est que pour que l’efficacité des palais de mémoire soit maximisée, il faut généralement:

  1. Des instructions adéquates, idéalement offertes par un mnémoniste expérimenté et doué pour l’enseignement.

  2. De grandes quantités d’informations à mémoriser.

  3. Plusieurs périodes d’entraînement, peu importe la durée, étalées sur une période d’au moins quelques semaines.

  4. Des apprenants motivés et convaincus de la valeur de l’exercice.

Bien sûr, ces conditions ne sont jamais complètement réunies dans le contexte d’une courte étude scientifique. Dans tous les cas, même si l’on choisit d’adopter une attitude prudente et sceptique, les bénéfices des techniques de mémorisation restent indéniables.

– Commençons par cette fascinante étude récente qui a fait le tour de la planète. Pour les maniaques, j’ai mis en ligne le texte complet ici. Et voici quatre articles intéressants publiés sur le sujet par CNN, Scientific American, Smithsonian et The Guardian. Les 4 articles sont globalement similaires et j’aurais pu en ajouter bien d’autres. En gros cela dit que les champions de mémorisation ont des cerveaux tout à fait similaires à ceux des gens normaux, sauf au niveau de certains patterns subtils liés à la façon dont les différentes parties du cerveau interagissent les unes avec les autres. Si l’on prend des gens avec une mémoire ordinaire et qu’on les fait s’entraîner à l’utilisation de palais de mémoire 30 minutes par jour pendant 40 jours, les cerveaux des débutants deviennent de plus en plus similaires à ceux des champions. À l’oral, on présente lentement aux débutants une série de 72 mots, l’un après l’autre, sans possibilité de révision. Après 20 minutes, les débutants ne peuvent initialement retenir que 26 mots. Après les 40 jours d’entraînement, les débutants en retiennent maintenant 62 (une augmentation de 238% de la performance). Quand les débutants cessent l’entraînement et reviennent 4 mois plus tard, ils retiennent alors 48 mots, soit une performance encore largement supérieure à leurs scores initiaux. Spéculation de ma part: si au lieu de présenter une série de 72 mots à l’oral, sans possibilité de révision, les chercheurs s’étaient contenté d’un test de type “voici une liste de 200 mots, vous avez 30 minutes pour l’étudier et vous recevrez 50 sous par mot correctement mémorisé”, je pense que les progrès aurait été encore bien plus spectaculaires.

Notons tout de même que les débutants, bien qu’ils n’avaient initialement aucun entraînement à l’utilisation de mnémoniques, ont été sélectionnés pour avoir un profil similaire à ceux des champions de mémorisation: c’est à dire généralement des gens pas trop vieux avec un quotient intellectuel qui, même s’il n’est pas exceptionnel, est tout de même au-dessus de la moyenne. J’ai hâte de voir des études similaires être reproduites avec des groupes plus variés. Sans avoir de données précises sur le sujet, il semble que le quotient intellectuel, sans être le facteur le plus important, soit corrélé avec la vitesse d’apprentissage et avec les niveaux de performance ultimement atteints. Boris Konrad, mnémoniste de haut calibre et l’un des neuroscientifiques responsable de cette super étude, constate que tous ne progressent pas au même rythme dans le cours qu’il a longtemps donné sur les techniques de mémorisation. Il précise cependant que 100% de ses élèves qui ont démontré un certain niveau de motivation sont parvenu à faire d’importants progrès, peu importe leurs habiletés initiales.

– Et voici une autre étude récente, fascinante et réjouissante: https://www.theguardian.com/science/2017/mar/10/how-david-camerons-yellow-y-fronts-gave-me-an-astonishing-memory-palace-memrise-prize Celle-ci n’a pour l’instant pas été publiée dans une prestigieuse revue scientifique, mais elle a le mérite d’impliquer environ 10,000 participants testant les méthodes présentées par 11 équipes composées principalement de neuroscientifiques de par le monde. Pour l’apprentissage rapide de nouveaux mots de langues étrangères, la méthode gagnante est, sans surprise, basée sur les mnémoniques et les palais de mémoire.

Surprenante étude dont j’ai entendu parler récemment. De complets débutants qui improvisent très rapidement de petites histoires parviennent ensuite à se souvenir de pas moins de 93% de 12 listes de 10 noms communs chacune. Les sujets du groupe contrôle qui eux utilisaient seulement la concentration et la répétition ne se sont souvenu que de 13% de ces mêmes listes. 93% versus seulement 13%! De complets débutants qui font cela pour la toute première fois! Ce n’est pas une petite différence! Je suis d’accord pour souligner le fait qu’on ne parle ici que de simples listes de noms communs et qu’on ne peut pas nécessairement s’attendre à des effets aussi spectaculaires dans tous les contextes. Le fait que les chercheurs fournissaient d’abord le premier mot de chaque liste avant de demander aux participants de réciter le reste est également digne de mention. Mais tout de même, ces résultats sont époustouflants et devraient être largement connus.

– L’une de mes études favorites: http://advan.physiology.org/content/38/2/140 Des étudiants en médecine qui apprennent l’endocrinologie (pas tout à fait une série de concepts qui sont faciles à visualiser) et qui sont adéquatement guidés à l’utilisation de palais de mémoire obtiennent de bien meilleurs résultats que leurs camarades qui passent un temps comparable à étudier à l’aide d’autres méthodes. Les étudiants en question sont pratiquement tous d’accord pour déclarer que les méthodes sont efficaces et que l’expérience est agréable. La plupart disent avoir envie de partager la méthode avec d’autres.

– Il y a une quinzaine d’années, une des études qui a eu le plus grand impact sur notre compréhension des habiletés exceptionnelles pour la mémorisation: https://sites.uni.edu/gabriele/page4/files/maguire002820020029brains-behind-superior-memorizers.pdf On y discute le fait que les gagnants des concours de mémorisation ne sont pas nés exceptionnellement brillants ou avec des cerveaux différents de ceux des autres. Leurs performances cognitives n’ont rien d’exceptionnelles. Leur mémoire de patterns visuels (une habileté qu’ils ne pratiquent pas) est ordinaire. Les champions ont appris à utiliser des régions du cerveau associées à la navigation spatiale pour la mémorisation. “We found that superior memory was associated with the preferential engagement of three brain regions in particular: medial parietal cortex, retrosplenial cortex and the right posterior hippocampus”. Les chercheurs croient que l’activation de ces trois zones est une conséquence de l’utilisation de palais de mémoire. L’ article “Exceptional memorizers: made, not born” discute les implications de cette recherche en combinaison avec d’autres et concluent qu’avec un entrainement approprié, des gens ordinaires peuvent spectaculairement améliorer leurs performances à des tâches liées à la mémoire.

– Sept patients âgés et souffrant de sévères problèmes de mémoire ont été entraînés à l’utilisation de l’art de la mémoire. On parle de cas lourds ici, des gens qui sont bien souvent incapables de retenir une liste de trois mots. Trois des sept patients n’ont malheureusement fait aucun progrès significatif. L’auteur de l’étude explique cela par les particularités de leurs problèmes de santé et par le fait que “none of these patients could form vivid visual images, none had any recent memory modality preserved, non were aware of their memory defect or interested in improving it.” Pour les quatre autres cependant, les progrès sont loin d’avoir été minimes. Après un entraînement avec quelques tâches plus simples, “an assignment to memorize the US presidents is easily carried out and the successful patients are usually showing off their memory skill before friends and family”.

– Les “athlètes de la mémoire” ont des performances largement supérieures au groupe contrôle dans des tests de contrôle de l’attention: https://www.youtube.com/watch?v=Lj3CvK1kALQ&t= (passage pertinent à partir de la 25e minute)

– Bien que plusieurs enseignants jurent que la mémorisation ne joue aucun rôle dans leurs cours, environ la moitié des tâches scolaires font appel à la mémoire d’une façon ou d’une autre. Les enseignants qui prennent la peine de suggérer différentes stratégies de mémorisation à leurs élèves leur rendent service, même lorsque les stratégies présentées sont simplistes: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4079074/ et https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4112095/

– L’utilisation d’imageries mentales aide de jeunes élèves à comprendre un texte complexe: http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0747563208002197

– En math et en sciences et en d’autres domaines, l’utilisation de techniques de mémorisation aide à acquérir rapidement une certaine expertise de base: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22546731

– Les étudiants qui utilisent des techniques de mémorisation ont de meilleurs résultats que les autres. https://www.researchgate.net/publication/222219630_Mnemonic_vocabulary_instruction_Additional_effectiveness_evidence

– L’entraînement à la mémorisation peut atténuer certains des effets de l’alzheimer: http://www.lapresse.ca/sciences/medecine/201103/24/01-4382607-alzheimer-des-chercheurs-ravivent-lacuite-du-cerveau.php et http://pilule.telequebec.tv/occurrence.aspx?id=906 et https://academic.oup.com/brain/article/134/6/1623/369304/Training-related-brain-plasticity-in-subjects-at

– Les étudiants à qui l’on demande d’utiliser différentes formes de mnémoniques ont de meilleurs résultats que ceux qui sont libres d’utiliser leurs méthodes favorites. Ils ont aussi de meilleurs résultats dans des tâches qui requièrent certaines formes d’analyse et pas seulement de la mémorisation: http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/acp.889/abstract

– Les mnémoniques permettent une meilleure rétention des noms et visages: http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/acp.3036/full

– Les mnémoniques aident à retenir des noms d’animaux non familiers: http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/1099-0720(200103/04)15:2%3C133::AID-ACP687%3E3.0.CO;2-P/full

– La méthode des crochets (“pegwords”) continue d’être efficace même lorsque l’on réutilise constamment la même série de 10 crochets pour apprendre des listes d’éléments nouveaux: http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/acp.1663/full

– Pour l’apprentissage de nouveaux mots d’une langue étrangère, les étudiants à qui l’on demande d’utiliser des mnémoniques ou de s’entraîner au “retrieval practice” (présumément cacher la réponse et voir s’ils peuvent la reproduire) ont de meilleurs résultats que ceux qui sont libres d’utiliser leurs méthodes favorites: http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/acp.1287/full

 – Des novices apprennent à retenir 50 décimales en quelques minutes avec le système Major: http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/(SICI)1099-0720(199704)11:2<147::AID-ACP425>3.0.CO;2-Y/abstract

– Enseigner en classe comment utiliser les palais de mémoire augmente les résultats à une tâche de mémorisation et incite un nombre considérable de ces étudiants à utiliser cette méthode dans la vie de tous les jours: http://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0098628315573143

– Les palais de mémoire peuvent être utiles à des étudiants en économie: http://www.economics-finance.org/jefe/volume11-2/10.Making%20Macro%20Memorable-ABS.pdf

– Cette étude semble indiquer qu’en moyenne, les adultes bénéficient moins de l’instruction à l’usage des techniques de mémorisation que les plus jeunes. Les adultes ont davantage tendance à être sceptiques, à ne pas suivre les instructions ou à les suivre incorrectement: http://psycnet.apa.org/journals/pag/11/1/164/

– L’entraînement aux palais de mémoire ainsi qu’à un autre exercice (probablement Dual N Back ou une variation) aide des patients âgés à récupérer leurs facultés cognitives après une “coronary artery bypass graft surgery”:  https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22068879

– Des étudiants qui apprennent à utiliser des mnémoniques obtiennent 88% à un test de rétention de mots en espagnol alors que le groupe contrôle n’obtient que 28% au même test: http://psycnet.apa.org/psycinfo/2005-15322-001

– Bonne revue de l’état de la recherche dans l’utilisation de mnémoniques pour la rétention de vocabulaire de langue étrangère: http://www.academypublication.com/issues/past/jltr/vol02/01/23.pdf

– Une dizaine d’études portant sur l’efficacité de l’utilisation de mnémoniques pour la rétention de vocabulaire de langues étrangères: www.linkwordlanguages.com/evidence-it-works/ L’une de ces études semble démontrer qu’après une très longue période, des mots de vocabulaires de langue étrangère appris avec des mnémoniques ne sont que partiellement oubliés et peuvent être rapidement réappris 10 ans plus tard: https://www.jstor.org/stable/43103448?seq=1#page_scan_tab_contents

Thèse sur l’efficacité des mnémoniques pour l’apprentissage de vocabulaire de langues étrangères: http://www.keyword-method.de/own_docs/pdf/thesis.pdf

Notez que la liste ci-dessus est bien sûr incomplète. D’un côté, je l’ai d’abord rédigée en 2018 et je ne l’ai pas mise à jour depuis. De l’autre, une très grande partie de la recherche sur le sujet m’est encore inconnue. J’ai fait l’acquisition d’un livre au titre de Mnemonology: Mnemonics for the 21st Century, un ouvrage que j’ai découvert par hasard qui semble être un traitement académique et relativement exhaustif du sujet. Je ne l’ai pas encore lu, mais la bibliographie est remplie d’études avec lesquelles je ne suis pas familier.

Quant aux autres ouvrages académiques portant sur la mémoire, une grande partie soit omettent complètement la méthode des palais de mémoire, soit ne la mentionnent que brièvement. Dommage tout de même pour une méthode au potentiel aussi puissant. Mentions honorables aux excellents ouvrages Make It Stick – The Science of Successful Learning, Visible Learning and the Science of How We Learn et a Mind for Numbers qui consacrent tous de bien instructifs passages expliquant la valeur de ces méthodes. Les passages en question n’arrivent qu’après au moins la moitié du livre et peuvent facilement être ignorés par les lecteurs pressés, mais cela reste beaucoup mieux que la grande majorité des autres publications.

  • L’auteure de a Mind for Numbers explique que “Purists might sniff that using oddball memorization gimmicks isn’t really learning. But research has shown that students who use these types of tricks outperform those who don’t. In addition, imaging research on how people become experts shows that such memory tools speed up the acquisition of both chunks and big-picture templates, helping transform novices to semiexperts much more quickly – even in a matter of weeks.” (1)
  • Les auteurs de Make It Stick expliquent que si les palais de mémoire ne sont pas nécessairement utiles à la compréhension initiale d’un nouveau domaine, ils peuvent cependant être “invaluable” (2) comme outils pour organiser nos connaissances et pour se les remémorer.
  • Quant aux auteurs de Visible Learning, bien qu’ils mentionnent que l’écriture et les ordinateurs ont rendu non essentielles les techniques de mémorisation, ils concluent tout de même que “Clear and usable techniques for memorisation can and should be actively taught in classroom situations. The most basic reason is that they represent genuine skills that can be applied when situations arise. Teachers expect their students to have the ability to memorise important information, but we are often guilty of not embedding mnemonic instruction into our teaching when this can be achieved with minimal cost. Whenever memory load is high, then students benefit from being shown memory aids, and being encouraged to develop their own deliberate strategies. There is nothing wrong in stressing that memorisation and understanding go hand in hand.” (3)
  1. Barbara Oakley, a Mind for Numbers – How to Excel at Math and Science (Even If you Flunked Algebra), 2014, p. 179.

  2. Peter C. Brown et al., Make It Stick – The Science of Successful Learning, 2014, p. 282.

  3. John Hattie et Gregory Yates, Visible Learning and the Science of How We Learn, 2014, p. 170.